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mercredi, 31 octobre 2012

Jeux avec la vouivre

Lorsque je passe près d’un cours d’eau, quelle qu’en soit l’importance sur la carte ou dans les mémoires, je ne puis m’empêcher de m’arrêter. Mon idéal se contente d’un de ces filets d’azur qui font des serpentements sans fin dans une plaine dégagée, car je sais qu’ils finissent toujours par embrasser, au bout de la ligne d’horizon, entre le ciel et l’herbe opulente, l’infini. Question de temps et de patience, sans doute. Je suis là, au milieu de nulle part. Un glougloutement moussu frange les bords du courant d’une fine et tendre dentelle. Il pleut bas sur la sauge, le pissenlit, la sarriette. Mais la pluie elle-même efface peu à peu ce sensible tableau, sculptant par tourbillons un paysage vertical où l’eau se mêle à la bourrasque et la bourrasque au temps. De sorte que l’attente elle-même y prend un tour merveilleux où dominent les feux de l'imagination.

Ces lieux sont magiques, on ne le dira jamais assez. On y rencontre quelquefois des créatures extravagantes et – le plus souvent – bénéfiques, lorsqu’elles n’exhalent pas la tristesse ou la volupté. Depuis qu’il y a des hommes qui rêvent et savent rêver, elles se tiennent pour eux aux confins des mondes déferlants, et attendent, attendent...

Oui, qu’attendent-elles au fait ?

On n’en sait…rien, ou presque – heureusement!

Elles sommeillent sur des trésors, vivent enfouies dans les marais ou dans la proximité de sources qui leur permettent, par des voies secrètes, de rejoindre le centre de la terre par leurs prières et leurs sortilèges. Aveugles, elles s’orientent grâce à une escarboucle dont elles dépendent entièrement. Tantôt femme, tantôt oiseau-serpent, elles volent en faisant gicler autour d’elles un éventail de gouttes lumineuses qu’on prend quelquefois pour l’arc-en-ciel, un croissant de lune ou encore un cercle d’étoiles, tant cela change et change à n'en plus finir; on les voit alors qui s’élèvent d’un battement d’ailes vif et cependant mesuré au-dessus des collines, des hameaux.

Ma vouivre à moi (puisque tel est le nom que je lui donne) se manifeste quand souffle le vent du nord et que flotte la bruine au-dessus des pâturages. Je la remarque de loin – un petit sifflement m’avertit de sa présence, vu qu’elle me fait la politesse de s’annoncer; peu à peu ce sifflement inaugural se transforme en modulations, en nappes sonores qui enveloppent tout, êtres animés et minéraux, d’un halo paisible. Avec ce chant d’une douceur infinie, elle est l’incarnation de l'esprit musical.

Aussitôt apparue, aussitôt envolée.

On va guigner derrière un cabanon abandonné: rien. On cherche à l’apercevoir entre les saules, derrière les étables vides sentant la paille: toujours rien. Et voilà que, pour quelque raison bizarre, elle apparaît soudain à un demi-jet de pierre, si près qu’il suffirait presque d’étendre la main pour la toucher (mais on s’en gardera bien, car on a été averti – elle est capable de nager, ramper, voler jusque dans le soleil, et quand sa fureur s’éveille, mieux vaut avoir pris la poudre d’escampette).

Elle perpétue en manière de salut les éclairs et la pluie dans la pénombre des tilleuls, avant de s’inviter pour le casse-croûte (jai ma gibecière). Après m’être assis à ses pieds, je lui offre un peu de pain doré et de ce fromage terrible qui la met toujours en émoi. Je sens qu’elle appréhende – oh! sans s’appesantir trop, car les soucis la font changer de couleur, et c’est à chaque fois une petite catastrophe – nos réunions, qu’elle doit juger, ma foi, bien étranges, bien étranges.

Ces moments sont surtout des moments de connaissance où s’ouvre tout à coup une brèche, où mon existence en vase clos s’emplit d’une eau plus lumineuse, d’un aflux d’espérance. Elle vient toujours à point pour me guérir de quelque tourment, le plus souvent après la visite de l’une ou l’autre de mes anciennes maîtresses, que je préfère ne pas nommer ici. Au regard de ces dernières, extraordinaire est son calme, sa pondération!

Pourtant, je ne la suppose pas dénuée d’humour ni d’une certaine perfidie, perfidie d’ailleurs nécessaire lorsque les humains sen prennent à son escarboucle et que l’herbe folle ne lui offre plus d'abri suffisant à leurs méchantes entreprises. Par exemple, jamais ne on verra un poète  même mineur – sadonner à de telles vilénies! Cela, elle l’a bien compris et elle m’en sait gré.

Que dire de plus?

Qu’elle distrait de la mélancolie et des chagrins ordinaires de l’existence, ça, chacun l’aura deviné. Que sa compagnie ouvre le troisième œil, c’est ce que l’on ose à peine murmurer, et encore, en regardant avec effroi autour de soi. Aussi loin que portent mes souvenirs, elle a toujours veillé sur ma destinée. Il faut croire quelle accomplit cela avec beaucoup d’efficacité.

 

(inédit)

 

samedi, 12 septembre 2009

Blogème LXXXVIII

Le serpent, d’où lui vient sa séduction particulière, si insistante, si terrifiante ? Peut-être de son apparente immobilité ? Car ne plus éprouver le besoin de bouger, c’est avoir compris que le bien et le mal sont trop inextricablement confondus pour pouvoir se passer l’un de l’autre, c’est accepter que sa propre souffrance et que son propre bonheur continueront à se contaminer à jamais.

dimanche, 30 août 2009

Un Cassandre post-atomique

On ne sait plus très bien où est le nucléaire, proclamait
Onésime Duvivier à qui voulait l’entendre (si, partout). À force,
Il nous portait sur les nerfs, c’est vrai, avec ses spectres
Qui avaient pour noms : cancers thyroïdiens, leucémies
Et moult horreurs prenant corps dans le génome humain.
Oui, un cycle s’achève, une conscience furtivement s’éveille.
Ainsi, le moment venu, chacun sera-t-il prêt au grand plongeon
Dans un monde où la singularité brille comme un signe de l’universel.
Avec sa barbe de hippie passionné, il imprimait
Dans nos cervelles ces proliférations monstrueuses,
Ce partout terrifiant (sans compter les crépuscules lavés de pluies
Acides, les eaux usées, les baleines, le réchauffement
Climatique). Il est si difficile déjà d’avoir sa tranche d’air.
De ce propos-ci à ce propos-là, nous n’en finissions
Pas de nous colleter avec une nature sans fond ni bords
Témoins enfantins de sa rage, impuissants comme lui :
Rien que d’y penser, j’en frissonne encore.

Extrait d'Éoliennes, L'Age d'Homme, 2007

vendredi, 05 juin 2009

Blogème LXXXVII

Laisse parler tes instincts, aussi absurdes puissent-ils paraître à première vue. Inutile d’en tempérer leur caractère aveugle et irréfléchi, le tremblement de certitude qui semble les animer. Du reste, c’est seulement lorsque tu les auras vraiment admis comme tels, avec leur bassesse et leur incomparable vulgarité, avec leur dose d’abrutissement, leur tristesse, leur désespérante monotonie, qu’il leur arrivera de relâcher un peu leur emprise sur ta volonté.

mardi, 21 avril 2009

Requiem dans la neige

Sous les saules noirs c’est la saison la plus rude
Sans ivresse ni feux ; un pont enjambe l’eau
Vers le maquis pelé des rameaux d’ifs jaunâtres
Enfourés de satin comme des arcs médiques.
 
Sous son corsage blanc, la terre est frissonnante
Dans les pins assoupis languissent des géants
Voilés de crêpes bleus - ils attendent au bord
Des routes leur messie, le doux soleil de mai.
 
Leur bois se fait poreux, et tordu leur branchage
On va les détailler en planches, en copeaux
Disposition des dieux municipaux : ils gênent
 
Les graves promeneurs des dimanches bâlois.
Vénérables sépulcres ! Apaiser ces mourants
Voilà le seul office incombant au poète.

(1988)

samedi, 11 avril 2009

Blogème LXXXVI

Sans la clairvoyance du sage, impossible de rien connaître du monde. Sans l'obscurcissement du fou, impossible de tout connaître du monde.

 

mardi, 10 mars 2009

Blogème LXXXV

Chéris la nuit. Elle t'apprendra tout ce qu'il faut savoir.

mardi, 20 janvier 2009

Musée égyptien (Turin)

D’un commun accord, nous nous sommes arrêtés devant les sarcophages
Dont la pierre, dans cet extrême de voir,
Semblait supplier par-delà la béance du temps.

Et je t’ai accueillie dans mes bras comme on défait des bandelettes pour
Mettre à nu ce qui se confond maintenant avec la stridence de la ville.
Mouvement des lèvres – à peine une supplique.
Autour de nous, ce viol du présent (mais c’était la condition,
N’est-ce pas ?). Comme tu me serrais le poignet, farouchement,
Un insecte ailé est sorti (toutes antennes frémissantes, aussi égaré
Visiblement qu’un voyageur du temps à l’instant où
La disparition se précise) du coffre sculpté.

Une blatte, je crois – l’héritage des momies ?

Je retrouvai (d’instinct) le geste des yeux dans l’ordre imparfait du monde.
À la sortie, le rouge du ciel comme une joue souffletée nous
Accueillit, attestant que la rencontre avait bien eu lieu.


Extrait d'Éoliennes, Ed. L'Âge d'Homme, 2007


 

mardi, 21 octobre 2008

Blogème LXXXIV

Une liberté étourdie d'elle-même n'est déjà plus la liberté.

lundi, 13 octobre 2008

Dit du silencieux

Croissance du peuplier posé seul sur la plaine.
J’habite les bois du cerf, vigne rousse des pas.
La lumière épure juin, et toute fleur précaire
La pluie embrasse janvier, qui est-ce, sinon moi ?

Je ne sais de complaisant que les draps de l’automne.
La rame du ciel balaie les lampions des maisons
De loin je singe des mains un signal inutile.
Croissance du peuplier posé seul sur la plaine.

Autant dénouer l’amour, trésor sous la racine
Autant jeter à la flamme la feuille vineuse
De tabac séchée au vent : devenir ce brasier.
Je ne sais de complaisant que les draps de l’automne.

Trébucher jour après nuit dans l’espace des brumes.
Toucher de si près le merle accroché à la ramille
J’habite les bois du cerf, vigne rousse des pas
Mon vin ainsi que ma chasse arpentent les saisons.

J’ai recueilli du regard la digitale bleue
Proie facile d’un torrent, qui est-ce, sinon moi ?
J’ai foulé les horizons roses de ma cité :
Autant jeter à la flamme la feuille vineuse

J’ai grandi, tenant au poing la mauve du silence.

(1985)


Extrait de "Kiosque à chimères", lien de vente sur le site des  Éditions l'Âge d'homme

jeudi, 02 octobre 2008

Paul Valéry (1871-1945)

« Toute chose qui est, si elle n'était, serait énormément improbable. »

Mauvaises pensées et autre

vendredi, 26 septembre 2008

Divagations au sortir des faubourgs

Un jour que nous longions, un vieil ami et moi
Les berges nues de l’Aare, écoutant d’une oreille
Distraite le plain-chant d’une bergeronnette
Je me dis que le ciel était bien vert ce soir.

Moins en tout cas que nous, sur ce globe citrique
À tenter le grand branle à coups de défoliants
Détrousser les dieux, les mages, les prophètes
Pour fini comme un frai dans la mare aux canards.

Le chœur furieux des geais faisait une chapelle
Un merle dépiautait son ver dans la rosée
Ainsi philosophait le monde au crépuscule

En nous l’acquiescement se nouait sans partage
J’étais cette saison, ce visage émacié
À l’air flûté des jours courant par nos artères.

(1987)

mardi, 16 septembre 2008

Jean Paulhan (1884-1968)

« Tout a été dit. Sans doute. Si les mots n'avaient changé de sens; et les sens de mots. »

Clef de la poésie

 

vendredi, 05 septembre 2008

Anonyme (?)

« Les huîtres, comme les hostilités, sont ouvertes. »

mardi, 02 septembre 2008

Blogème LXXXIII

Quelle est donc sa valeur d'homme, à celui qui n'a pas au moins l'obole d'un petit secret à garder ?

dimanche, 31 août 2008

Blogème LXXXII

Marie-toi avec l'infini, épouse un cactus.

samedi, 23 août 2008

Blogème LXXXI

De rencontre en rencontre, on répète l’autre, jamais le même. Et chaque fois, l’expérience précédente s’avère l’esquisse de celle qui viendra juste après, et ainsi de suite jusqu’à ce que le tableau soit achevé...

jeudi, 21 août 2008

Blogème LXXX

Sous ces ciels qu’on dit de traîne, il y a des signes qui ne trompent pas quand résonnent les coups de heurtoir de l’orage. Le répertoire de notre rêverie s’amenuise comme le fil de l’araignée, le hasard ignore la trame de nos dessins et le cercle ne s’ouvrira que pour quelques initiés. Ainsi Cronos aux paupières gonflées dévore-t-il ses enfants à la sortie du labyrinthe. C’est un sage, un vrai.

lundi, 18 août 2008

Blogème LXXIX

Quelle est la vocation la plus haute, la plus exigeante ? Peut-être d’aspirer à faire éclore autour de soi un bourgeon d’espoir. Un espoir tout frais, tout nu, blanc comme une naissance d’aube…

jeudi, 07 août 2008

Acte de foi

Assis au bord du vide immense, j’étais pétrifié.
En dessous, le grand damier des champs, des lacs et des forêts
Se décomposait à chaque fois que l’avion virait sur son aile
Une pure abstraction que le pilote retouchait de son pinceau
Pour ceux (si nombreux) qui ne posent pas de questions
Et tolèrent de vivre dans ce par-delà irrationnel et sans frontières.
Fusillade d’air. Les mains exsangues de mon coéquipier tremblaient.
Une phrase, glanée allez savoir où, me revenait sans cesse :
« La charge de l’atmosphère est de nature plutonienne. »
L’oreille tendue vers des bribes de voix en gravitation libre
J’essayais de me rappeler les gestes que le moniteur
Nous avait enseignés après nous avoir montré comment plier le parachute.
Mais rien ne venait. J’ai fermé les yeux et pensé à toi
Pour glisser dans l’immensité du froid, vers la vérité de nulle part.
Quelques fragments d’éternité plus tard, dans un fracas terrifiant
Le nénuphar de toile me suspendait net au milieu de ma chute.
Solitude – jamais je ne t’aurai vue si démesurée.