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jeudi, 01 mai 2008

Comme un manifeste...

Tu écriras sans te ménager ni ménager la langue qui t’a vu naître et dans laquelle tu as bâti ton berceau.

Tu écriras pour t’enfoncer dans cette zone franche où l’ombre se mêle à tout jamais à la fumée tournoyante des lampes.

Tu écriras pour la liberté, laissant de côté l’arrière-pensée de ramener qui que ce soit à la raison.

Tu écriras pour ceux que tu aimes – tes parents, ta femme, tes enfants surtout –, pour leur transmettre quelques bribes de l’inconstante mémoire qui te soutient encore.

Tu écriras pour détourner de leurs têtes innocentes les roulements de ta rage inguérissable.

Tu écriras avec mesure, laissant s’envoler en pleine sagesse les mots hors de ta portée.

Tu écriras pour le chardonneret à l’étroit dans sa cage d’osier tendre.

Fais-toi un devoir de ne pas écarter le mal de ta plume, car c’est là qu’il s'avère le mieux éprouvé, le plus éblouissant.

Tu écriras pour les éclats de rire et les déboires. Pour manifester ton désaccord fondamental. Pour la promenade dominicale et tous les culs-de-sac de la vie.

Tu écriras pour brouiller le chemin.

Tu n’écriras pas ce qui ne manifeste nulle nécessité de s’écrire. Il résulte de ceci que bien souvent tu en seras réduit à écrire profusément rien que pour ne pas avoir à écrire pour de bon.

Tu ne singeras pas la décadence de l'époque, l'effort obstiné pour remplir le vide par le vide, cette errance de la parole dans les gigantesques toiles d'araignées dont s'entoure aujourd'hui toute forme d'expression soi-disant sérieuse.

Tu écriras non pour percer à jour tes semblables, ou pour en remontrer aux dieux, mais seulement dans l’espérance folle de connaître l’être dans chaque objet et le temps dans la matière de son évanouissement, ce qui à la fois recule et te pousse en avant vers l'inconnu de toi-même.

Tu écriras des heures durant, jusqu’à total épuisement si nécessaire, et ce chant indigent consumera l’oxygène qui te reste.

Tu écriras occasionnellement pour l’honneur, car ton nom est la dernière chose qu'il y a de noble sinon d’humain ici-bas, même si en cette affaire toute espèce d’honneur apparaît d’emblée et à tout jamais hors de propos.

Qu’est-ce que la poésie, sinon l'éclair unique d’une parole à contre-courant de l’épouvantable proximité des hommes entre eux, cette abjection dont résultent les multiples patois et bavardages de Babel ?

Sache que tu écriras pour échouer de toute façon.

Que ce soit là ta plus grande joie et ta seule fierté.