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mardi, 24 juin 2008

Instruments de dialectique

Comment donner un sens aux larmes, aux phrases
Qui perlent dans le petit jour parmi les bruyères jaunes
D’où vient que ton poème ait semblé quelquefois
Remonter de plus loin que la simple pensée ?
Je sais les cauchemars, la lente noyade de l’insomnie
Et ces gesticulations fatiguées des hommes jeunes
Déménageant en hâte d’un appartement à l’autre ;
Je suis un démiurge aux outils infectés par la folie
Et tel un comédien charmé d’un crin-crin virtuose
Je me tiens accroupi dans les ruelles, riant à la face des nuits...
Je bois jusqu’à plus soif la douceur complice, expirante
Une fenêtre ouverte éclaire faiblement ma ténèbre
Et c’est toujours le même artifice ; la main à la rampe
Tordue d’un vieux tramway en partance ; la forfanterie
D’un moteur qui saute, puis s’éloigne, cahin-caha.

(1998)

lundi, 23 juin 2008

La servante de Dieu

Elle aime à évoquer comme elle jetait les pièces
Aux mendiants indistincts attardés sous les fenêtres
De la cure ; et la fois où l’évêque tomba, tel un mécréant
De l’échelle dressée dans le cerisier intact, ce quelle riait !
À présent, les saisons passent plus lentement, les pattes
D’oie au coin des paupières, on les salue du doigt ; on perd
Mémoire, mais ce n’est pas le plus grave : il en restera
Toujours assez pour un brin de causette à la tombée du soir.

(1997)

samedi, 21 juin 2008

Mademoiselle

L’avant-bras entaillé, on l’a emmenée dans la salle blanche
La fille qui voulait chatouiller la plante des pieds des anges
Et pourtant, si ténue, elle respire, cendrillon crépusculaire
Un sanglot soulève à peine sa poitrine, les yeux aux aguets
Éperdue, elle espère, on ne sait quoi, ni de qui ; une artère
Bat à son cou ; un homme à son chevet, prématurément vieilli
Fixe son attention sur le joyau exsangue de son cœur
Et chantonne cet air inintelligible dans le vague.

(1995)

jeudi, 19 juin 2008

Lendemains de noce

Ce dimanche matin, le fleuve est sorti de son lit de fonte
Engloutissant l’étendue comme un qui prend la clef des champs
Pendant que nous faisions un sort à un vieux riesling, jaugeant
Les chances des mariés avant que leur maison ne s’effondre :
À deux pas du village, le Rhin plastronne comme un second ciel
Il pille les vergers, se glisse en orvet dans les parages méconnaissables
Au cimetière où il s’acharne bientôt à déchausser les stèles
Puis le socle moussu de notre croix centrale – c’en est trop !
Et le vieux curé sacre en tirant sur sa pipe d’écume.

(1997)                                     

jeudi, 24 avril 2008

L’ardoise des jours

Il faut la pauvreté pour sonder l’instant sans réserve
Et l’aride splendeur d’un cœur trop meurtri – mais
Que peut l’enfouissement, ce désert, le silence
S'il ne s'y glisse pas un soupçon d'air, un fil d'éternité ?

(1994)

 

lundi, 14 avril 2008

Ce qu'essentiellement nous sommes

Aujourd’hui, plus pressé que jamais, il n’a pas attendu
Ni le jour et son bruit d’ailes, ni les compagnons de toujours
Autre chose de loin l’appelait, comme un sommeil, qui sait ?
Le temps de traverser un peu de nuit, une eau qui court
Plus rapide que nous, plus ombre qu’ombre, cependant
Qu’un vent frais noue sa voix aux hymnes des âmes de passage.

(1998)

Séjour immobile

Mes amis, vers quel monde obscur vous en êtes-vous allés ?
Ici, un bruissement de feuilles autour des fûts nouveaux
Rappelle vaguement la distance impalpable qui nous sépare
À présent, tout nous manque, et l’ombre invente d’autres visages
Il y a ce peu d’air qui s’affole, distrait, quelques paroles léguées
Comme une offrande pâle à la lisière lumineuse du silence.

(1998)

Visions d'un paradis

On dit qu’ils ont là-bas les yeux moins lourds
Pour voir ce que jadis leurs yeux avaient refusé de voir :
Les brumes, et puis l’or rose des pétales sur les étangs
Formant sous le ciel encre autant de lettres dormantes
Une lune chinoise au-dessus des roseaux griffus
Qui participe au temps intime des plantes et des bêtes
Enfin, certaine rumeur ou chuchotis parmi les cerisiers
Sans fleurs, effilochés, mais en même temps pleins
Comme un vieil alphabet prenant substance dans la vie
Et des monstres peureux d’oubli que nul n’avait su prévoir.

(1996)