samedi, 26 décembre 2009
Pasolini en hiver
Des restes de neige dans les arbres et les champs, entre les joncs dont la houpette s'agite doucement, comme si une très ancienne mémoire avait déposé sa patine sur ces êtres immémoriaux. Je promène le chien qui sautille avec de petits bonds précautionneux d'une motte à l'autre, évitant les flaques gelées, les méandres du ruisseauxdont un filet d'argent scintillant continue de gargouiller dans le silence de la campagne. Le froid pourtant semble avoir interrompu toute vie autour de nous. Puis je rentre, m'assieds derrière mon bureau, c'est le meilleur moment de la journée. De l'autre côté de la fenêtre, un ciel presque cinématographique déploie ses mauves et ors au-dessus de la ligne des peupliers nus et frémissants. Un peu de la calorie du sud débordant dans le grand nord.
Cela me rappelle que ces temps-ci, sous prétexte de me réchauffer le cœur, un ami me projette soir après soir les films de Pier Paolo Pasolini, choisissant parmi ceux qu'il admire le plus. Des images d'une magie irréprochable et d'une lucidité effrayante, qui tantôt transportent, tantôt glacent le sang, parce qu'elles nous montrent, au travers de symboles solaires, telluriques, primitifs, le tréfonds de l'âme (un terme que le cinéaste communiste récuserait à bon droit). Malgré un hédonisme affiché, malgré la provocation de qui veut mettre à mal le bourgeois, il s'agit avant tout, dans cette oeuvre sans vergogne, de percer les hauts murs du destin. Ici, les lignes d'intensité sont des cercles d'enfermement sur lesquels nous errons, à la remorque d'un héros d'épopée hors temps, dans un pur espace imaginaire.
Mais Pasolini, qui était-il au fait ? Voici une question à laquelle il est bien difficile de répondre... Le savait-il lui-même? Une piste cependant: sa mort misérable, déjà toute entière contenue dans certains plans qu'on pourrait presque dire fixes et, néanmoins, totalement hallucinatoires. Il précède toujours d'une bonne longueur l'art de son temps. Il précède son avenir. Type du créateur hanté par ses obsessions, voilà que le monde s'en mêle aussi et se referme sur lui. En tant que poète également, qui pourrait, aujourd'hui, lui être comparé dans le domaine de la sensibilité? Il y a en France, par exemple, une manifeste volonté de produire de la culture écrite en tant que telle, mais cette culture demeure essentiellement vide, parce que c'est une production de contenus faux, pur effort de réflexion sur une pratique qui n'existe pas et sans liens significatifs avec le réel. À l'opposé, les richesses d'échanges entre cinéma et fiction romanesque, tant aux Etats-Unis qu'en Italie, auront permis d'exprimer la spécificité d'un langage qui privilégie le sujet original, la recherche de la vérité, la circulation des idées et des hommes.
19:06 Publié dans Journal de peu (extraits) | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : littérature, cinéma
Commentaires
Très bien ce bout de journal, et je suis d'accord sur la nullité de ce qui se fait maintenant chez nous en france, une pitié!
Écrit par : Cancan Mélie | vendredi, 01 janvier 2010
Absolument d'accord avec Cancan Mèle. tous des fumistes, y a qu'à voir la rentrée de l'automne dernier, rien qui dure jusqu'à l'hiver
Écrit par : Al Morales | jeudi, 07 janvier 2010
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