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dimanche, 07 mars 2010

Simone Weil (1909-1943)

« Toute douleur qui ne détache pas est de la douleur perdue. »

La pesanteur et la grâce

Comme une vie sous la langue

Lucien Noullez, après nous avoir surpris par des poèmes de plus en plus ténus, en suspension presque dans la perfection de leurs images, démontre avec la publication d’Une vie sous la langue (L’Âge d’Homme, 2009) que tout journal littéraire se met pour ainsi dire obligatoirement du côté du fragmentaire, de l’informe, de l’inachèvement, et que c’est bien ainsi qu’il parvient à nous offrir le meilleur de lui-même. Rappelons brièvement que Noullez, d’origine wallonne, est né à Bruxelles en 1957. Il est enseignant, poète et critique littéraire. Il a également donné un très beau récit mi-autobiographique, mi-romancé, L’érable au coeur (L’Âge d’Homme, 2009), racontant avec beaucoup de sensibilité et de vergogne tour à tour une enfance bruxelloise des années soixante et les incroyables aventures d’un jeune gendarme de la Grande Guerre, qui dut sa survie à l’amitié, à un cheval et à son amour pour le violon.

À mi-chemin entre celui de Julien Green (qui lui sert d’ailleurs de sésame et de pôle entraînant) et celui de Charles Juliet (pour le caractère immédiat du style), son journal littéraire a beau couvrir une période limitée (les années 2001 à 2002), il manifeste néanmoins une ouverture au monde exceptionnelle. Une prose drue, rythmée, parsemée de trouvailles poétiques en permanence justes, données (« recueillies »). Sans doute s'agit-il d'une « simple attention aux minuscules dissidences de l'instant », mais n'est-ce pas là que se révèlent les choses cachées, que s'approfondit le mystère de l'existant? Rien de moins guindé, rien de plus instructif que ces pages pour entrer dans l’intimité de son auteur, et on le suit avec délectation dans ses voyages, son quotidien, ses réflexions autour de la marche des choses, de la bible ou encore de la musique, omniprésente dans sa vie.

Car c’est en effet la merveilleuse musique qui sert de fil conducteur au diariste : on la sent douce, spirituelle, toujours très agissante, porteuse des mêmes pouvoirs consolateurs que la poésie en somme (« La musique élargit la prairie. »). Un tremplin pour sauter au cœur de l’art (entendu que tout le cosmos est appelé à devenir art), pour faire revivre une seconde fois le quotidien à travers les mots. En même temps, Noullez – qui est la modestie même – conçoit la tenue du journal comme l’exploration d’un genre littéraire à part entière, éclairé par la foi, à telle enseigne qu’il en devient un filtre et un fabuleux tamis du temps, l'oeil de la mémoire qui est là, qui veille et comprend. Les passages sur les enfants de la rue sont poignants, ils apparaissent comme un rappel à l'ordre, une injonction à agir. C’est parce qu’il est si proche de la vie et des êtres (même les plus démunis) qu’on sent se développer une fraternité, un incommensurable élan vers cette nouvelle définition de la sensibilité.


Lucien Noullez, Une vie sous la langue, éditions L'Age d'Homme, Lausanne 2009